Le Régionalisme est-il le Pygmalion de la littérature ?

Certains auteurs, Frédéric Mistral en tête, ont fait de leur ancrage régional la clé de leur œuvre littéraire, marquant d’une empreinte indélébile toute une culture. À contrario, faut‑il obligatoirement une identité locale, même à divers degrés, pour réaliser un bon livre, surtout lorsque les sujets abordés sont d’une nature générale?


     Frédéric Mistral, Prix Nobel de Littérature, dont l’œuvre est écrite en provençal, a une statue toujours érigée à Toulouse. Or la Ville Rose n’est plus depuis longtemps une terre provençale (le Comte de Toulouse ne fut qu’un temps Comte de Provence). Certes, la culture occitane est le socle commun de cette cité et de la Provence. De cette notoriété atypique, quoique pas de cette portée, on pourrait en multiplier les exemples. Oui, Frédéric Mistral par sa langue natale, non reconnue officiellement, a hissé son identité régionale au plus haut niveau mondial ! 

      Malgré tout, peut on dire…

 

 

 

Régionalisme et “littérature générale”, même ambition ?

      On semble admettre, pour certains, que seule la “littérature générale” navigue dans la cour des grands, au détriment de la “régionale”. Entendons-nous, d’abord, sur la définition de ces deux entités.

     Pour la première, on se limitera d’abord au “sens moderne” qui commence avec Mme de Staël, en 1799, par son ouvrage De la littérature. La notion repose sur l’action d’écrire sur ce qui nous entoure et, surtout, dans une forme esthétique. 

      Puis, la part donnée à la propagation des idées prendra de plus en plus d’importance. 

      En parallèle, au fil des siècles, dans ce même cadre, différentes formes de pensée et de genres littéraires vont apparaitre. Ce sera notamment le cas de la “littérature régionale” qualifiée trop péjorativement de régionaliste et surtout “de terroir”. Pourtant, elle se situe dans la droite ligne de la tradition romanesque du XIXè siècle, en ne nommant maintenant que George Sand. Ainsi seront mises en avant les spécificités des différents terroirs. 


Par ailleurs, ceux-ci constitueront une mine d’informations ethnologiques. Notons : son intérêt ira bien évidemment jusqu’au niveau national et au-delà. 

    Mais alors qu’en est-il aujourd’hui du “roman de terroir” à la française (à ne pas confondre avec la spécificité québécoise) ? Se limite-t-il, en forçant le trait, à un recensement du patrimoine régional, voire au mieux à un aimable retour nostalgique ? C’est effectivement le reproche fait à ce type d’écrit. Dans leur ensemble les critiques professionnels ont tendance, dans le meilleur des cas, à le classer dans le genre mineur. Maintenant allons sur les forums d’internet ! On s’y rend compte qu’un certain nombre de lecteurs en ont emboité le pas.


      Or, sans porter un jugement, la nuance s’impose. 

     D’abord, une simple statistique économique saute aux yeux. Les ventes d’un nombre non négligeables d’ouvrages régionaux ont des tirages qui arrivent à dépasser ceux de la générale (terme que j’emploie à titre de synthèse). Des éditeurs nationaux comme Robert Laffont, Albin Michel, Presses de la Cité (pour ne citer qu’eux) ne s’y sont pas trompés : ils les intègrent dans leur catalogue.

     Mais, surtout, ce succès est dû à d’indéniables qualités de plume tant sur le style que sur la construction du roman (entre autres) ou sur le thème abordé. Comme nous allons le voir, le genre dit de terroir évolue. C’est en abordant des sujets actuels qu’il touche à notre quotidien. Tout en conservant un ancrage régional ou même local, il s’ouvre sur le global. Ceci, quelque part, referme la boucle.

 

Des auteurs ou des personnages “régionaux” peuvent-ils intéressés d’autres publics ? 

     Pour mémoire, je commencerais par Marcel Arland, figure emblématique pendant l’entre-deux-guerres de la NRF, soit un symbole de la “littérature générale”. Or, en 1938 il publia Terre natale, éminemment de “terroir”. C’est un signe peut être anecdotique, mais révélateur.

      Surtout, on pourrait reprocher aux auteurs d’ouvrages régionaux de se cantonner à des propos purement locaux, même si les ouvrages sont d’une affriolante et irréprochable tenue. En effet, on peut, en toute logique, penser que ceci n’intéresse que les touristes de passage ou les gens du coin. Il faut se rendre à l’évidence : c’est, au moins, un peu réducteur. À côté d’une foisonnante qualité littéraire et iconographique, souvent excellente, ces auteurs nous offrent une indispensable anthologie de notre France, pour ne citer que cette fonction essentielle. Conservons à l’esprit : c’est souvent le terreau fondateur de l’identité des Hommes et de ce qui en émane.

     Pour aller plus profond dans ce sujet, il me faut commencer par le peloton de tête, à savoir l’École de Brive. Celle-ci, qui n’a d’école que le nom, fut créée en fait par un groupe d’écrivains exclusivement issus de cette région. Voyez, par là, des amis qui se retrouvent dans une ambiance conviviale partageant les joies de leur terroir. C’est le ciment de leur capacité à produire des œuvres ayant des retentissements à des niveaux élevés, comme à l’Élysée. 

     Exhumons une vérité ! Dans cette cité, où est née cette École, la Foire du Livre remporte toujours un indéniable succès omniprésent. Dès le début son importance n’a pas échappé aux journalistes et écrivains qui descendaient de la Capitale à cette occasion. Osons rendre hommage à son fondateur Claude Michelet avec, entre autres, Des grives aux loups. Il convient de nommer aussi Denis Tillinac. On le retrouvera naviguant dans les grandes sphères parisiennes. Citons Gilbert Bordes et méditons ses paroles : «Le terroir, ça ne veut rien dire, il y a du terroir en Corrèze comme dans le VIe arrondissement.» 


Cette évidence saute aux yeux. D’ailleurs, les auteurs, quel qu’en soit le genre littéraire, situent également leurs personnages dans différentes régions de France, à l’instar de ce qu’on pourrait trouver pour d’autres pays. Je me bornerai à citer l’inattendu exemple du grand journaliste écossais Martin Walker. Il est devenu un Périgourdin d’adoption. Son personnage principal est précisément issu de ce terroir. Et, au travers d’enquêtes, il traite bien sûr de sujets sociétaux.

 


Même en résumé, je me dois de faire référence à L’identité de la France de cet éminent historien Fernand Braudel. Il n’hésite pas à nous faire promener sur les routes pour qu’on puisse re-découvrir ce pays. C’est une merveille d’ethnologie.

*

On peut, donc, avancer que la “littérature régionale” va au-delà de la mise en valeur du patrimoine local. Elle aspire ainsi à montrer sa position fondamentale dans l’évolution du Monde. Par ailleurs, la “littérature générale” a un rôle évidemment majeur et indispensable dans la compréhension et… l’évolution de ce Monde. Pour autant, elle ne doit pas oublier que les Hommes, acteurs chacun à son niveau de cettedite évolution, sont de prime abord, par nature, ancrés dans un terroir, qu’on le veuille ou non. 

 


     Et, le lecteur, ultime maillon de cette chaine de connaissances, ne peut, même inconsciemment, qu’en ressentir l’impérieuse nécessité.

 

Yves COT 

27-12-2022 / ©labri-cot / www.labri-cot.eu

 

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