Le 14 juillet 2016, à Nice, un intégriste tunisien, au volant d’un camion, prend pour cible la foule venue tranquillement assistée au feu d’artifice de la Fête Nationale Française, tuant de nombreux hommes, femmes et enfants. Le 23 décembre 2014, rue de Lappe à Paris, une jeune femme est tuée à coup de tournevis. La presse indiqua que l’assassin déjà interpellé 37 fois n’avait pas supporté qu’elle lui ait refusé ses avances.
Deux faits totalement différents, en apparence. Un point commun, c’est le manque de tolérance. On a retranscrit et commenté sociologiquement, entre autres, ces faits. Ce furent des mots, des phrases, un début de littérature. Celle-ci peut-elle jouer un rôle ? Le oui est bien sûr évident, mais lequel !
Littérature et tolérance sont-elles deux notions contradictoires ?
Ce citoyen du Monde, à l’époque antique, l’athénien Socrate écrivit : « On obtiendra l’amitié d’un homme en cultivant en soi les qualités qu’il estime en lui. ». En méditant les paroles du Père des philosophes, on pourrait penser, à priori, à une réponse positive. Celle-ci n’est pas complètement fausse, mais elle est loin d’être complètement réaliste. Pour preuve, je me limiterais, pour l’instant, à quelques faits historiques récents, à l’échelle de l’humanité. Prenons le nazisme, avec “Mein Kampf” [Mon combat] d’Adolf Hitler ; “le Mein Kampf des djihadistes”, surnom de l’ouvrage “Gestion de la barbarie” par Abu Bakr Naji, le théoricien de Daech !
Maintenant, allons voir du côté des philosophes qui ont égrainé la pensée européenne. Celui qui est vers le haut du hit-parade (prenons, volontairement, un terme populaire qui sied à ce sujet) est Voltaire avec le “Traité sur la Tolérance” (1763). Certes, ceci est à replacer dans le contexte de l’erreur judiciaire de l’affaire Calas . Justement, la rhétorique de l’auteur et la force de la construction de son texte en font une œuvre d’une cruciale actualité. Il renvoie au fanatisme religieux, et ses dangers, dans la perspective des contradictions inhérentes à l’Homme, des pensées philosophiques et religieuses.
On y retrouve les problématiques qui se font jour dans les différents ouvrages littéraires qui peuplent toutes les époques.
Remontons en 1598 à la promulgation de l’Édit de Nantes par le Roi Henri IV. On a tendance à le présenter comme un édit de tolérance envers les Protestants par sa Majesté catholique. Il serait bon de nuancer le propos car, en fait, le Roi de France a pu ainsi sauver la paix dans son royaume tout en confirmant la prééminence du catholicisme qui tolérait la présence du protestantisme dans certains lieux. Ceci met en évidence une approche de la tolérance qui diffère chez John Locke (1632 – 1704), le précurseur des “Lumières”, où, dans sa “Lettre sur la tolérance”, il pose les bases de “la séparation de l’Église et l’État”. Par ce fait, s’il reconnaît la liberté de conscience et, donc, de religion, il réfute, dans la même logique, le port ostentatoire d’insignes affirmant sa différence (tiens, cela me rappelle quelque chose dans le débat d’aujourd’hui du “vivre ensemble”) ; et, bien sûr, il en déduit que la tolérance s’arrête à la menace de l’ordre public (qu’on peut extrapoler, comme de nombreux écrivains, à la nécessité évidente de ne pas tolérer les intolérants). Dans cette même mouvance on peut mettre en parallèle les écrits de Bayle, en réaction avec la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV, avec ceux de Voltaire. Dans toutes ces dissertations philosophiques on mesure l’évolution et les changements vers la tolérante pensée catholique communément admise aujourd’hui, car, à l’époque la notion d’intolérance était considérée comme un bien nécessaire pour sauver les âmes du “péché” pour l’éternité. C’est cette dernière notion, prise dans son aspect général, qu’on retrouvera dans des livres, prônant d’autres obédiences, et, qu’entre autres, on a citée plus haut avec Hitler et Daech.
Du moins en Europe, la littérature semblerait confirmer que l’ambiance culturelle majoritaire va dans le sens de la tolérance bien qu’on y retrouve toutes les nuances, ci-dessus simplement évoquées et, encore, par le prisme principal de la religion. Justement, on est en droit de se poser la question suivante :
la littérature peut-elle être le berceau d’une politique tolérante ?
Cela commence dès la plus tendre enfance. La littérature de jeunesse a cette particularité de savoir aborder tous les sujets, souvent sans a priori, et grâce à des auteurs talentueux qui savent se mettre à la portée des jeunes lecteurs. On a pu ainsi, petit à petit, traiter des notions philosophiques. Ce sont ces tout derniers éléments basiques qu’on retrouve, complétés et réadaptés à l’âge, dans l’enseignement donné aux lycéens. Il est évident que tous ces écrits littéraires forgent les mentalités de demain. Comme on vient de l’évoquer, si, dans l’ensemble, ces textes choisis prônent la tolérance, d’autres ouvrages, dans d’autres environnements, font le lit de l’intolérance sous prétextes qu’il est nécessaire de sauver l’Humanité, ou l’âme des Hommes, en éliminant les opposants (confer les références dans la 1ère partie de cet article). Sans me permettre de porter un jugement (ce qui n’est pas mon rôle), peut-on laisser penser, écrire et agir de telles personnes qui se prétendent détentrices inéluctables de la Vérité (ce qui est loin d’être prouvé) ? Ne faudrait-il pas interdire cette littérature intolérante, car, là aussi, c’est à partir de l’écrit que se propagent ces idées et ces actions ; la riposte uniquement littéraire, toute indispensable qu’elle soit, risque d’être insuffisante, et l’Histoire nous l’a prouvé.
Soit dit en passant , aujourd’hui, il ne faut pas oublier que la littérature ne se loge pas uniquement dans les livres papiers, mais aussi par voie électronique où, à côté des nombreuses images, on trouve de véritables textes littéraires ; surtout avec cette “révolution” de la facile diffusion mondiale de tous les concepts, via le web.
Justement cet état de fait pourrait mettre en évidence la diversité des opinions. Et, pour peu qu’on y prête réflexion, il pourrait apparaître évident que rien n’est inexorablement figé ou acquis avec des conceptions diverses, variées ou opposées. Ceci devrait conduire indubitablement à une certaine réserve et une profonde relativisation de nos certitudes. Bien que ce soit loin d’être totalement réaliste, on est en droit de supposer qu’à priori, ceux qui prennent le temps de lire des essais ou des romans, voire d’en écrire, sont plus prédisposés à avoir ce genre de réflexion, de tolérance : et que, donc, la littérature pourrait, dans ce cas, être le berceau d’une prédisposition à l’établissement d’une politique tolérante.
Ne pourrait-on pas, donc, espérer que la Littérature, par le dialogue qu'elle engendre, par le biais des échanges culturels, puisse être un des leviers aboutissant à la tolérance pour le bien, la paix, voire la sauvegarde de l'Humanité et de la Planète ?
Yves COT
©labri-cot
Écrire commentaire